Cet article parle du texte dans les cartes.Loin d'être un élément polluant, le texte peut véhiculer toute une palette de formes esthétiques ainsi que favoriser la perception de valeurs statistiques. Certaines réalisations cartographiques ne sauraient se passer de lui. C'est le cas d'une carte que nous essaierons de concevoir au sein de cet article au sujet de la dénomination des communes, de leur "son". Avant cela, nous aurons tenté d'introduire, modestement, l'univers des cartes typographiques.
Le texte au sein d'une carte
Ma définition d'une carte traditionnelle sera ici volontairement succinte. Selon moi, il s'agit à la base d'un agencement de formes, de couleur et de texte. La barre d'échelle est une forme rectangulaire assortie de libellés numériques. La fléche d'orientation est l'association d'une rosace de forme variable munie de la mention d'un ou de plusieurs points cardinaux.
C'est la combinaison d'éléments picturaux et littéraux qui permet de fournir une information à celui qui lit la carte.
Concernant la forme picturale, qu'elle soit ponctuelle, linéaire ou surfacique, sa forme, sa couleur, sa trame, sa densité, son angle de rotation peuvent servir de paramètres afin fournir une information numérique ou qualitative. Si cette dernière est décrite dans la légende, elle sera reçue sans faute par l'utilisateur. Si elle ne l'est pas, elle sera seulement perçue de manière subjective (avec parfois des risques d'interprétation).
En fait, je ne fais ici que reprendre les idées formulées par Scott Mac Cloud dans son excellent "Understanding Comics", ouvrage qui pourra intéresser autant les férus de BDs que de design informationnel.
Tous les paramètres de représentation d'objets sont très bien décrits dans les ouvrages de sémiologie graphique tels que ceux de Jacques Bertin. Ils sont aussi officialisés dans des bouquins de design informationnel comme des "gestalt principles of design".
La plupart du temps, ceux qui réalisent des cartes, notamment statistiques, négligent le texte au profit des éléments figuratifs. Le texte est souvent perçu comme un élément "polluant" qui va dissimuler la forme alors qu'en réalité, il la sert. La forme doit-elle primer sur le fonds, l'esthétique sur la limpidité de l'information?
Ci-dessous figurent des cartes où le texte est mis en avant de manière inventive et esthétique. Il y est détourné de façon malicieuse de son usage courant ou bien, dans son agencement, mime la forme d'un objet.
- San-Francisco en noms de rue:
San-Franciso Typographic Map by axismaps |
- Les noms de groupes de musique au Royaume-Uni:
Film Map by Dorothy Weare |
- Les prénoms des Américains:
USA surnames by National Geographic |
- couleur: plus ou moins saturée, de teinte variable.
- hauteur
- l a r g e u r
- hauteur et largeur peuvent être utilisées pour représenter un variable numérique (population, etc...)
- graisse: pour mettre en valeur du texte en fonction d'une variable qualitative.
- e s p a c e m e n t: il agit un peu comme la densité d'un semis de points ou l'espacement de hâchures
- inclinaison: il pourrait signifier une tendance binaire suivant si le texte est orienté à gauche ou à droite (appliqué aux résultats de vote). Il pourrait également signifier une notion de vitesse, d'avancement.
- angle: selon moi, ce paramètre est à manier avec précaution, au risque d'attraper un torticolis.
- type de fonte: une fonte véhicule une émotion, un univers. Par exemple, la fonte utilisée dans cette image rappelle les cartes au trésor.
Carte de pirate réalisée avec Mapnik |
Il y a sûrement plein d'autres possibilités que je n'ai pas listées ici.
Logiciels et typographie
Les logiciels de dessin vectoriel tels qu'Adobe Illustrator ou Inkscape incorporent déjà toutes ces possibilités de lettrage.
QGIS, le logiciel populaire de carto libre, dispose aussi telles fonctions: on peut choisir la fonte, la taille de la police, l'orientation du texte en fonction de valeurs.
Un logiciel comme Processing va très loin dans ce domaine. Dans cette image réalisée avec l'outil de design génératif, les lettres nous permettent de lire un visage.
P_4_3_2_01 from Generative Design on Vimeo.
Une carte des noms de commune
Pas loin de Calais, sur la Cote d'Opale |
Loin de moi l'idée de raconter ma vie - je préfère raconter celle des autres - mais cet été, je suis parti en voyage, sur la route, dans le Nord - dont la beauté des côtes n'a rien à envier à celles du pourtour méditerranéen, soit dit en passant.
Le tir au panneau n'est pratiqué qu'en Corse |
Je suis un habitant du Sud de la France et les panneaux des communes que j'ai traversées dans le Nord accrochaient mon regard car leur phonétique était de toute évidence différente de celles de ma région. Souvent, la sonorité des communes, même quand elle a été couverte par un voile de métropolisation, laisse quand même transparaître quelques motifs bien spécifiques.
De la même façon que François Guillem s'interroge sur la configuration spatiale des prénoms des Français, je me suis demandé de quelle manière il serait possible de faire apparaître la configuration des noms de commune en France.
Tous les noms de commune sont différents, même si, rarement, certaines sont les mêmes. C'est pourquoi je me suis dit qu'il fallait me concentrer sur une partie du nom de la commune: la dernière syllabe du nom de chaque commune qui pouvait être commune à plusieurs. C'est souvent celle qui résonne le mieux et qui est la plus caractéristique de la région concernée.
L'objectif était de voir, région par région, quelles étaient les dernières syllabes des noms de commune qui étaient les plus caractéristiques de chaque région, et par ce biais, leurs consonnances.
Je m'attendais déjà à trouver en Bretagne, des syllabes se terminant en *EC, en Alsace en *EIN, en Corse en *CCIA, *CCIO
Restait à savoir quel type de représentation choisir. Aucune représentation graphique mobilisant la forme, la couleur d'objets géométriques ne pouvait convenir. Seule une carte typographique pouvait répondre à ce besoin.
Il faudrait alors s'atttaquer au texte et non aux styles objets géométriques. On pourrait ajuster, par exemple, la taille du texte en fonction de l'importance de cette syllabe pour une région donnée tout en faisant en sorte que les étiquettes ne se chevauchent pas.
Conception
Le fichier que j'ai utilisé est bien entendu GéoFLA (encore lui).
Une syllabe est un son ou un groupe de sons qu'on prononce par une seule émission de voix. A défaut d'avoir à disposition une librairie phonétique, je me suis attaqué aux noms de communes à coup d'une expression régulière qui vaut ce qu'elle vaut: je ne suis pas un expert de la régularisation (sauf des amis à qui je dois une bière). Le résultat est ci-dessus.
Je ne pouvais me contenter de mon comptage de syllabes par région car je retrouvais des syllabes fréquentes dans toutes les régions comme *ILLE. J'ai assorti le traitement d'une analyse en composantes factorielles afin de voir, pour chaque région, quelles étaient les syllabes les plus représentatives. Par la suie, j'ai choisi de me concentrer uniquement sur les 30 premières les plus caractéristiques.
Différentes dispositions de point possibles |
Une fois cela fait, j'ai créé un semis de points au niveau de chaque polygone dont la répartition est intermédiaire entre le régulier et l'aléatoire. Cette répartition est appelée "non-alignée". Ce semis de points servira à positionner les étiquettes. Par conséquent, ces dernières étiquettes ne seront pas positionnées en fonction de la localisation absolue de communes leur correspondant, mais en fonction de leur région d'appartenance.
Ensuite, j'ai affecté une taille variable, selon 6 classes, à mes étiquettes en fonction de leur poids (selon la classification de Jenks qui maximise la variablité inter-classes et minimise l'intra)
J'ai affecté une couleur différente aux libellés selon la région à laquelle ils appartenaient.
Afin d'avoir un rendu optimal de toutes mes étiquettes, j'ai choisi une solution de nuage de mots (word cloud). Le word cloud permet de faire en sorte que les étiquettes s'emboîtent les unes dans les autres.
Le rendu
Carte des noms des commune (cliquer pour voir en grand) |
Certes, cette carte n'est pas aussi ambitieuse que celles présentées dans les liens précédents mais il s'agit d'un bon début!
Parfois, vous pourrez voir sur la carte quelques artefacts: des libellés se balladent dans une autre région. Le choix des tailles de police n'étant pas optimal, lorsque tout l'espace est saturé, les boîtes de texte ne s'emboîtent plus et essaient de conquérir un espace libre.
On pourrait appliquer cette technique à bien d'autres choses: les prénoms des français, par exemple, à l'image de ce qui a été réalisé sur la carte du National Geographic (USA surnames).
Le code
Et bien sûr, le code!
Pour ceux que ça intéresse, voir aussi cette série de cartes.
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